Project Description
La croissance du visage en orthodontie
Quand l’orthodontiste doit traiter un enfant ou un adolescent, il doit prévoir un plan et une stratégie de traitement sur un patient en cours de croissance. Il s’agit donc de traiter un patient dont les données morphologiques et fonctionnelles sonnet évolution selon un rythme variable pendant toute la durée du traitement. Cette difficulté majeure nous oblige à prévoir l’avenir, donc à intégrer cette « 4ème dimension » dans le plan de traitement.
Il est alors nécessaire de prévoir un plan de traitement en fonction du visage du patient tel qu’il devrait apparaître après la croissance physiologique et consécutivement aux effets du traitement sur cette croissance. Quelle sera l’apparence du jeune patient en fin de croissance et après le traitement ? Le projet thérapeutique est essentiellement fondé sur cette prévision évaluée au moment du bilan orthodontique.
La compréhension de la croissance cranio-faciale et du schéma squelettique individualisé pour chaque patient font partie des connaissances essentielles de l’orthodontiste, car seule cette connaissance de la croissance fondamentale permet d’établir une bonne stratégie de traitement. L’orthodontie n’est pas une science qui permet juste un alignement dentaire, mais elle a pour objectif de rétablir un bon équilibre facial en ajustant la croissance de la face supérieure et de la face inférieure. Ceci, bien entendu, pour obtenir un résultat esthétique, mais aussi, et surtout, pour installer un meilleur équilibre facial fonctionnel et une bonne stabilité du traitement.
Sans rentrer dans le détail de cette croissance de la face, qui est l’objet d’un long enseignement en formation initiale universitaire et en cours de spécialité, nous allons donner ici quelques indications sur la croissance des différentes pièces squelettiques qui constituent la face à la manière d’un « puzzle ».
La face est constituée de 13 os. Chaque pièce osseuse a son propre déterminisme de croissance qui se répercute sur les unités squelettiques voisines. Les tissus mous et les fonctions, comme la phonation, la déglutition ou la mastication, interviennent de façon importante sur cette croissance squelettique, mais agissent aussi de façon importante sur l’esthétique faciale générale.
La croissance de la base du crane
L’encéphale chez le nourrisson et le jeune enfant joue un rôle important dans la croissance du crâne. Les lobes frontaux de l’encéphale en expansion élargissent et avancent la fosse cérébrale crânienne antérieure. La face supérieure avance. Les tubérosités (zones postérieures situées derrière les dernières molaires) du maxillaire sont poussées en avant et la croissance tubérositaire, dans les parties postérieures du maxillaire, permet le comblement de cet espace libéré par l’avancement de la face supérieure. Ceci est visible sur le schéma de Enlow ci-dessous.
La base du crâne sépare l’encéphale de la face. Sa taille est variable selon les individus et, chez l’homme, la base du crâne présente une angulation de 120° qui correspond à la station érigée. Elle est plate chez le quadrupède. Cette base du crâne est pour Delaire « le terrain à bâtir de la face ».
En effet, sur les radiographies du crâne ci-dessous, nous constatons qu’une base du crâne présentant un tableau en flexion prédispose à la prognathie mandibulaire (grande mâchoire inférieure). En effet, cette angulation de la base du crâne trop importante entraîne une implantation antérieure de la mandibule.
TABLEAU EN FLEXION : angle de la base du crâne fermé prédisposé à la promandibulie. En revanche, dans un tableau en extension, lorsque l’angle de la base du crâne est ouvert, le sujet serait plutôt porteur d’une rétrognathie mandibulaire (mâchoire inférieure en arrière dans le profil).
TABLEAU EN EXTENSION : angle de la base du crâne ouvert prédispose à la rétromandibulie.
Dans les cas pathologiques comme l’hydrocéphalie, la base du crâne peut être aplatie. En effet, la boîte crânienne inondée de liquide céphalo-rachidien augmente considérablement de volume en aplatissant la base du crâne. L’hydrocéphalie est responsable d’une hypertension intracrânienne (augmentation de la pression dans le crâne) ; elle entraîne chez le nouveau né une distension des sutures membraneuses (joints entre les différentes pièces squelettiques constituant le crâne) et des fontanelles (zones de tissus conjonctif non ossifié entre certains os de a voûte crânienne). Le crâne devient très volumineux, plus épais et plus lourd.
Dans les craint-sténoses, les sutures de la base du crâne se minéralisent trop tôt et cela entraîne un rétrécissement du crâne qui peut être à l’origine de troubles importants du développement facial, comme c’est le cas dans certains grands syndromes malformation : le syndrome de Crouzon ou le syndrome d’Apéro. Nous remarquons alors des facto-sténoses, c’est-à-dire des soudures prématurées des sutures faciales (entre les os de la face) qui délimitent les différents os de la face. Dans ces cas, la face supérieure est réduite, le sujet présente alors une exophtalmie (yeux qui sortent de leurs orbites), un nez en forme de bec de perroquet et une position mandibulaire de proéminente.
Le syndrome d’Apert : grand syndrome malformation par des soudures prématurées de certaines sutures de la base du crâne, du crâne et de la face. Notez le rétrécissement de la base du crâne, la déformation de la voûte du crâne par l’apparition d’une bosse au sommet du crâne la rétrognatie maxillaire majeure (le maxillaire est en retrait).
L’ACHONDROPLASIE est une forme de nanisme dysharmonieux qui est induit par des troubles de la croissance du tissu cartilagineux qui atteint la base du crâne et les cartilages de conjugaison des os longs.
Ceci entraîne une déformation cranio-faciale. La base du crâne est courte avec un tableau en flexion et les membres sont raccourcis du fait de l’atteinte des cartilages de conjugaison des os longs, les patients sont atteints de membres courts.
L’examen facial révèle un gros crâne d’allure hydrocéphalie, avec une saillie des bosses frontales, un effondrement de la racine du nez, un massif facial supérieur en retrait qui crée une pseudo-prognathie mandibulaire (mandibule en avant). La volute parapit trop développée par la suite de la réduction de la base du crâne dont l’angle de la base du crâne est réduit ; il est voisin de 98° au lieu de 120° habituels.
Croissance du massif facial supérieur
Il est suspendu à la base du crâne dont il dépend. Sur ce schéma de Enlow, nous constatons qu’il est poussé en bas et en avant par les muscles faciaux. Les muscles sont représentés par le maçon qui pousse le wagonnet.
La face est construite en arrière par un maçon qui apporte des briques, il comble l’espace libéré par le massif facial qui progresse en avant, tiré par la musculature. Le face grandit. En avant, le profil de l’enfant devient plus droit grâce aux phénomènes de résorption osseuse qui se font naturellement et qui sont ici imagés par un maçon qui sculpte (résorption osseuse) la face antérieure.
La musculature faciale descend le massif facial supérieur en bas et en avant. Sous l’effet de cette traction, on note l’apposition osseuse en périphérie au niveau des systèmes suturaux craint-facial (séparant base du crâne et face) et péri-maxillaire.
Phénomènes de remodelage
Pendant la croissance, dans la partie antérieure de la face, nous pouvons observer des territoires de croissance bien précis qui sont le siège d’une apposition osseuse ou d’une résorption qui contribue à sculpter le visage et à rendre le profil plus droit alors que chez l’enfant, il est plutôt convexe.
Phénomènes de résorption osseuse
Siège en hachuré de la résorption de la partie antérieure de la face pendant la croissance. Cette action verticales la face et fait peu à peu disparaître le profil convexe et « poupon » de l’enfant.
Figure 9, selon Enlow : Principe de surface et mouvement cortical au niveau du sinus frontal (cavité pneumatique à l’intérieur de l’os frontal au niveau des arcades sourcilières). Essentiellement chez l’homme.
Noter la dérive de la corticale externe du frontal lors de la formation du sinus frontal, avec apposition périostée (en périphérie de l’os) et résorption endostée (à l’intérieur de l’os dans la cavité pneumatique).
Croissance tubérositaire
Cette croissance permet la croissance sagittale postérieure, celle de la croissance verticale des tissus osseux qui soutiennent les dents ainsi que la croissance transversale qui élargit l’arcade dentaire postérieurement en élargissant les sinus maxillaires (cavité pneumatique à l’intérieur du maxillaire). L’accroissement postérieur est une réponse au déplacement antérieur du maxillaire et contribue à l’allongement de l’arcade dentaire. Voir ci-dessous le schéma de Enlow qui visualise cette croissance tubérositaire, laquelle libère l’espace nécessaire pour l’éruption des 2èmes molaires maxillaires, puis des dents de sagesse. Cet accroissement est également transversal.
Croissance du maxillaire
La croissance est tubérositaire, en direction postérieure, transversale par élargissement postérieur de l’arcade dentaire et verticale par croissance des procès alvéolaires.
Une anomalie de croissance du maxillaire peut entraîner une prognathie (avancement) ou une rétrognathie (recul) maxillaire. La prognathie maxillaire peut être amplifiée par une proalvéolie (avancée des incisives) : les dents du sujet sont alors très en avant au point que la fermeture labiale en position de repos (sans forcer sur les lèvres) est impossible et que les gencives sont très fortement découvertes lorsque le sujet sourit. Chez le sujet jeune, un appareil orthodontique peut avoir une action squelettique (orthopédique), et réduire cette croissance excessive. L’appareil non seulement recule les dents trop avancées, mais fait aussi sur la structure osseuse même du maxillaire en diminuant son potentiel de croissance.
Nous parlons communément du maxillaire supérieur : en fait, pour les anatomistes, il s’agit des maxillaires supérieurs. En effet, les maxillaires droit et gauche sont reliés entre eux par la suture intermaxillaire. Cette suture est active jusqu’à l’âge de 14 ans chez les filles et 16 ans chez les garçons. En cas de développement transversal (en largeur) insuffisant du maxillaire, cette suture chez l’enfant et l’adolescent peut être réactivée par un appareil fixe appelé disjoncteur fixé aux molaires supérieures par des bagues. Un vérin transversal écarte le maxillaire en agissant sur cette suture.
Fentes palatines
Une anomalie de fermeture de la suture intermaxillaire pendant l’embryogenèse est à l’origine de l’apparition d’une fente palatine. Cette fente du palais osseux (palais secondaire) peut se prolonger antérieurement vers le palais primaire. Le rebord alvéolaire, et aussi la lèvre supérieure, sont alors fendus. Cette fente labio-alvéolo-palatine peut être unie ou bilatérale. Les traitements actuels pluridisciplinaires où interviennent la chirurgie, l’orthodontie, l’ORL, l’orthophonie, permettent de bien corriger ces anomalies, mais ces traitements sont longs.
Fente palatine bilatérale totale
Avant et après préparation orthodontique, la fente a été réouverte pour idéaliser la forme d’arcade. Une greffe osseuse d’origine iliaque est maintenant prévue pour combler l’espace de fente.
Age de traitement. Les données acquises de la science nous prescrivent de commencer précocement le traitement des sujets porteurs de fentes palatines, afin de les mettre dans une situation fonctionnelle équilibrée pour favoriser une croissance harmonieuse. Ceci évite ainsi l’aggravation du tableau squelettique initial et réoriente favorablement la croissance.
Ces traitements précoces peuvent commencer en denture temporaire vers 4 ans et plus généralement en dentition mixte (présence simultanée de dents temporaires et de permanentes) vers 6 ou 8 ans. Plus généralement, dans tous les autres cas, le début du traitement est précoce en cas d’anomalie squelettique ou de décalage inter-arcade (dents en avant), afin d’éviter une aggravation du tableau clinique initial pendant la croissance.
La croissance mandibulaire
La croissance de cet os est complexe tant par son mode d’ossification – c’est un os d’origine mixte, cartilagineuse et membraneuse – que par ses modifications morphologiques.
La mandibule est le seul os mobile de la face. Il est relié à la partie postérieure de la base du crâne par l’intermédiaire des cavités glénoïdes qui se déplacent en bas et en arrière pendant la croissance, car elles suivent la croissance de la base du crâne. La croissance mandibulaire doit donc être quantitativement plus importante que celle du maxillaire, afin de conserver son articulation dento-dentaire (occlusion dentaire) équilibrée entre maxillaire et mandibule.
Selon les courbes de Bjork, la croissance du condyle mandibulaire se poursuit au-delà de la croissance suturale de la face et un peu au-delà de la croissance staturale (taille), jusqu’à 22 ans chez le garçon et 18 ans chez la fille. Pour certains auteurs, la croissance mandibulaire se poursuivrait encore plus tard. Cela signifie que les sujets ayant une grande mandibule verront leur croissance mandibulaire se poursuivre bien au-delà du pic de croissance péri-pubertaire. Il s’en suit que, chez ces sujets, la prévision de croissance faciale est difficile. Le condyle mandibulaire, qui est l’extrémité postéro-supérieure de la mandibule, est un centre de croissance important que les orthodontistes activent par leurs appareils, activateurs de croissance qu’ils soient amovibles ou fixes, pour corriger un déficit de croissance mandibulaire. Le sujet présente, dans ces cas, une mâchoire inférieure en retrait et des incisives maxillaires qui paraissent très proéminentes dans le profil. Le cartilage condylien est le centre de croissance le plus important de la mandibule. Il contribue considérablement à l’accroissement en hauteur et en largeur de la mandibule. Selon Petrovic et Stutzmann (1975), l’hormone somatotrope, la STH (Somatotrophic Hormon), a un rôle indirect sur la croissance condylienne. En effet, elle stimule l’accroissement du maxillaire dans un premier temps, et la croissance condylienne d’effectue par un servo-mécanisme de régulation de l’ajustement occlusal (les dents inférieures suivent les dents supérieures par le jeu de l’occlusion) qui fait varier l’activité d’un muscle masticateur élévateur et propulseur de la mandibule : le ptérygoïdien latéral.
Effets des appareils orthopédiques
Selon Petrovic, un appareil orthopédique peut susciter soit la stimulation par un hyperpropulseur, ou activateur de croissance, soit le freinage par une fronde mandibulaire de l’activité mitotique (futures cellules osseuses). La fronde appliquée sur le menton est alors fixée par l’intermédiaire d’élastiques, en haut et en arrière sur la voûte crânienne. Le cartilage condylien par voie de conséquence présentera une accélération ou un ralentissement de croissance selon l’appareil utilisé. Le rôle physiologique du muscle ptérogoïdien latéral est de contribuer au mouvement mandibulaire de poussée en avant, mais aussi de contrôler la croissance du cartilage condylien.
Selon le modèle cybernétique présenté par Petrovic, on remarque que la croissance du massif facial supérieur provoque un dérèglement occlusal à l’origine d’un « signal d’erreur » qui provoque l’activité du ptérygoïdien latéral en vue d’un ajustement occlusal optimal. Ainsi est programmée la croissance mandibulaire, selon cet auteur.
De façon plus générale, nous pouvons considérer que le processus de croissance est influencé par l’activité de la musculature faciale et par les forces exercées par les tissus mous : l’expansion des parties molles péri-articulaires entraîne le déplacement primaire mandibulaire. La croissance condylienne est adaptative.